Europe : pourquoi l’accord de libre-échange USA/UE menace notre démocratie
Décidément, la France devient « the place to be » pour le business mondial.
Il y a quelques jours, notre monarque-président a déroulé le tapis rouge pour le président-dictateur Xi Jinping, soumettant un peu plus l’économie européenne au dumping social, humain, environnemental et monétaire chinois pour quelques contrats, dont une usine d’extraction du plutonium !
Ce jeudi 10 avril, c’est au tour du commissaire européen Karel de Gucht de réunir dans un grand hôtel parisien la crème du business mondial, dont Microsoft, Total et Google. L’objectif : accélérer les négociations de libre-échange entre l’Union européenne et les États-Unis dont les multinationales seront les principales bénéficiaires.
Ce genre de rencontre est devenu une habitude pour Monsieur de Gucht, qui avait pris soin de recueillir les doléances de 140 lobbies avant l’entame des négociations. Business as usual ? Pas vraiment.
L’instauration d’une juridiction supranationale
Ce que la Commission européenne négocie en notre nom – mais sans que nous puissions obtenir le moindre élément de contenu – ce sont les règles, les normes, les droits qui encadrent nos économies et nos sociétés. Santé, environnement, droits des salariés, données personnelles, services publics, agriculture et alimentation… tout est négociable !
Pour l’administration américaine, le rêve est de remplir nos assiettes d’OGM, bœuf aux hormones et volaille chlorée. Pour les dirigeants européens, c’est conquérir les marchés de l’eau totalement privatisés ainsi que les services financiers, et importer le gaz de schiste américain.
Mais ce n’est que la partie émergée de l’iceberg. Car nos chefs d’État et de gouvernement s’apprêtent à abandonner aux grandes firmes des pans entiers de notre souveraineté et notre capacité à développer un modèle européen performant, innovant, social et écologique. Ce que nous réserve cette saison 3 de« House of Cards » grandeur nature, c’est la fin de la démocratie telle que nous la connaissons.
Au nom du soutien aux investissements, l’accord de libre-échange transatlantique instaure de fait une nouvelle juridiction supranationale qui contourne les juridictions nationales.
Toute entreprise pourra y contester la décision d’une collectivité locale, d’un État ou de l’Union européenne si elle considère qu’elle remet en cause ses bénéfices, et réclamer des centaines de millions d’euros de dédommagement. Toute défense ou conquête de choix démocratiques, dans les domaines du droit du travail, de l’éducation, de l’environnement, des services publics ou de la finance sera dès lors conditionnée au bon vouloir des multinationales.
Une machine à produire de l’impuissance politique
Derrière ce qui semble n’être qu’un simple mécanisme juridique se cache en fait une machine infernale à produire de l’impuissance politique. Une fois l’aléa démocratique mis au placard, la bataille pourra enfin s’ouvrir.
Il suffit d’imaginer les 3.300 entreprises européennes et leurs 24.000 filiales aux États-Unis, et les 24.000 sociétés américaines et leurs 50.800 filiales européennes, prêtes à attaquer toute législation des deux côtés de l’Atlantique parce qu’elle ne correspond pas à l’optimisation de leurs profits !
Ce procédé juridique apparu par le biais d’accords bilatéraux de commerce ces dernières années fait déjà des ravages ailleurs :
– Sur la santé : le géant américain du tabac Philip Morris a profité de ce dispositif contenu dans un accord entre l’Australie et Hong-Kong pour attaquer, via sa filiale hong-kongaise, la politique australienne de lutte contre le tabagisme et demander des milliards d’indemnités.
– Sur la protection de l’environnement : Lone Pine, société américaine, réclame 250 millions de dollars de dédommagement au gouvernement du Québec. Son crime : avoir décidé d’un moratoire sur l’exploitation des gaz de schiste.
– Sur la transition énergétique : Vattenfall exige de l’Allemagne 3,7 milliards d’euros en compensation de la sortie du nucléaire décidée en 2012 parle gouvernement Merkel. Si cet accord était déjà en vigueur, des fabricants de biberons pourraient poursuivre la France pour son interdiction du bisphénol A !
Une arme de destruction massive contre la démocratie
Pendant que les dirigeants de ce monde tentent de masquer leur impuissance, se construit une arme de destruction massive contre la démocratie. L’Europe est notre seule option pour réguler la mondialisation, mais faute de courage, nos dirigeants ont renoncé à reprendre la main sur l’économie.
Lionel Jospin avait refusé en 1998 une telle perspective et stoppé un accord similaire sur l’investissement. Hélas, Jacques Delors n’a toujours pas d’héritier au Parti socialiste. François Hollande peut se rassurer : c’est bien du Champagne français que boiront bientôt les grands patrons du monde.
Ces pro-Européens du dimanche ne nourrissent pas seulement le doute, le scepticisme ou la colère vis-à-vis de l’Europe. Ils la déconstruisent jour après jour. Mais l’Europe n’est que ce que les majorités politiques en font.
Par conséquent, il est temps d’en changer pour reconquérir notre souveraineté individuelle et collective. C’est aux citoyens d’en décider dès le 25 mai, en élisant une majorité opposée à ce projet néfaste.
Signataires :
Yannick Jadot, député européen EELV, candidat tête de liste Grand Ouest
Karima Delli, député européenne EELV, candidate tête de liste Nord
José Bové, député européen EELV, candidat tête de liste Sud-Ouest
Sandrine Bélier, députée européenne EELV, candidate tête de liste Est
Pascal Durand, ancien secrétaire national EELV, candidat tête de liste Île-de-France
Michèle Rivasi, députée européenne EELV, candidate tête de liste Sud-Est
Clarisse Heusquin, candidate tête de liste Centre EELV
Eva Joly, députée européenne EELV, candidate Île-de-France